(maddie) nothing left to hold

AES — goldilocks, une tresse blonde interminable, une réserve infinie de casquettes et de bonnets, d’épaisses chemises à carreaux et des bottes maculées de boue, des cicatrices un peu partout, un cœur brisé, de vieux meubles élimés et tristement vides, des plaids en laine aux motifs désuets, des fleurs d’automne séchées dans de petits cadres abîmés, un don pour la composition florale à force de journées passées à décorer le country club, pas de portable, pas de réseaux sociaux, un vieux lecteur et des CDs, une simple carte de ciné.

— 1984 : Tatiana ‘Ana’ Margalit Belinsky voit le jour à Louisville, Kentucky, USA. Elle est l’unique enfant d’un couple de trentenaires aussi excentriques que fortunés.  Après n’avoir songé qu’à leurs carrières, les tapis rouges et les fêtes huppées, ils ont racheté et fait retaper une ferme agricole à Indian Hills. Leur immense propriété est bordée d’autres champs et de forêts, voisine de plusieurs autres exploitations.

— 1987 (3) : Elle sait à peine parler qu’elle ne jure que par les chevaux. Son univers entier se remplit de silhouettes équines : papier peint, tableaux, figurines… Son équipement d’équitation est déjà acheté en plusieurs tailles, la plus petite desquelles fait office de déguisement qu’elle refuse bien souvent de quitter.

— 1991 (7) : Il lui faut attendre ses onze ans (6th Grade) pour être scolarisée. En attendant, Ana bénéficie d’un tuteur privé qui, une fois ses leçons de la journée terminée, la conduit à la ferme équestre de ses voisins et grands amis de ses parents, pour des séances d’éducation physique à dos de poney.

— 1995 (11) : Tatiana fait son entrée à la Kammerer Middle School. L’appréhension est forte mais elle se dissipe bien vite quand Ana se rend compte que ses camarades de classe ne sont autres que ses camarades d’équitation.

— 2001 (17) : Privilège de classe aidant, Tatiana s’est toujours épanouie dans ses études, au point de sauter une classe et d’obtenir son diplôme avec les honneurs, un an avant ses pairs. Grand chamboulement néanmoins : elle quitte le Kentucky et s’installe seule à Davis, en Californie, où elle entame son cursus en Sciences de l’Animal au Collège des Sciences Agricoles et Environnementales de l’Université, reconnu N°1 en médecine vétérinaire dans tout le pays.

— 2002 (19) : Le soir de son anniversaire, Tatiana est parvenue à esquiver une énième fête étudiante. L’heure est indécente lorsqu’elle s’extirpe enfin de la bibliothèque, le stress d’un examen rivé à l’estomac. Elle tombe nez-à-nez avec Marlowe, de deux ans son aîné sur les bancs du même cursus. C’est le coup de foudre immédiat, absolu. Pour elle, tout du moins. Il s’installe chez elle au bout de quelques semaines à peine. Il l’inonde de cadeaux, d’intentions et de promesses… Ana, des étoiles plein les yeux, ne voit rien des signes avant-coureurs. Et elle n’est pas la seule à être aveuglée. Parents, amis, tout le monde voit en Marlowe non pas le gendre idéal, mais le gendre parfait. Pourtant, en y regardant de plus près, tout est déjà là. Les non-dits, les interdits, les chantages, les “compliments” qui ne sont calibrés que pour la faire douter d’elle-même et la pousser à l’envi dans une direction ou une autre… Tatiana est prise dans son piège, et n’est pas prête de s’en échapper.

— 2008 (24) : Le jour de son mariage est le plus heureux dont elle ait souvenir. Les coups n’ont pas encore commencé à pleuvoir. Elle est belle et souriante, pleine d’espoir, absolument ignorante de toutes les horreurs qu’il lui reste à subir.

— 1994 (28) : Bachelor et Master en poche, des stages cliniques et internats en pagaille, Tatiana s’attelle à sa thèse, mais pas exactement celle dont elle a toujours rêvé. Marlowe lui sert depuis cinq ans un refrain lancinant, comme quoi il y a plus de financements du côté des bovins, qu’elle a le devoir de protéger les assiettes des Américains, que de toute façon, elle n’a pas le niveau pour s’occuper de chevaux. Elle finit par céder. Alors que c’est sa passion depuis toujours. Alors qu’elle n’a jamais cessé de monter à cheval, de concourir, de les soigner. Alors que tous ses stages en ranch équestre devaient justement la conduire à cette ultime consécration. C’est lui qui s’oriente vers la médecine équine sportive, tandis qu’elle prend le chemin des élevages agricoles. Trois ans plus tard, à l’issue d’un parcours semé d’embûches, elle décroche son doctorat. Sa thèse est aussitôt citée en bibliographie d’un article publié dans Nature, véritable consécration pour la jeune docteure. C’en est trop pour Marlowe dont la violence couvait déjà de toute façon. Il jalouse la réussite de sa femme, et un soir qu’elle se réjouit d’une offre d’emploi dans un grand laboratoire, la première gifle part.

— 2017 (33) : La carrière de Tatiana connaît un décollage en beauté, grâce à ses axes de recherche pionniers, son approche clinique toujours expérientielle et sa probité scientifique. Sous les assauts répétés et toujours plus virulents de son mari, elle a accepté l’offre du laboratoire Wide Eyed, spécialisé en management d’exploitations bovines, basé à Washington D.C. Là encore, c’est loin d’être son premier choix. Elle participe davantage à améliorer les rendements pour d’énormes machines à broyer qu’elle n'œuvre pour le bien-être animal… mais comme il n’a de cesse de le lui dire, le job paie vraiment bien et lui permet de voyager aux quatre coins du pays. Quant à Marlowe, sa réputation repose davantage sur ses investissements généreux en matière de publicité pour sa clinique privée que sur ses réelles compétences. L’horizon du couple se remplit de nuages sombres, jusqu’à la première étincelle. Alors qu’elle vient de concrétiser la fondation d’une revue spécialisée et d’en être nommée directrice (avec la claire intention de mettre en lumière des femmes chercheuses), Tatiana n’a pas le temps de célébrer. Elle est hospitalisée les deux jours suivants pour une “mauvaise chute”. Les accidents de ce type se multiplient, autant qu’ils s’intensifient. Jusqu’à ce que le vernis se fissure et craque.

— 2023 (39) : Une année fatidique. Celle du wake up call. Une énième dispute au prétexte absurde et aux conséquences terribles lui fait contempler la pire issue de secours possible à sa situation. Tatiana plie bagage et se réfugie chez ses parents qu’elle n’a pas revu depuis des années, alors même qu’ils ont acheté un appartement à Washington D.C. comme résidence secondaire pour voir leur fille. Deux semaines s’écoulent et Marlowe ne lâche pas l’affaire. SMS, mails et appels incessants… Il campe sans relâche au pied de l’immeuble en dehors de ses heures de travail. Mais Tatiana n’est pas prête d’attendre qu’il parvienne à rentrer.

— 2024 (40) : La supercherie est savamment préparée, calculée jusque dans ses moindres détails. A 9h, elle glisse ses faux papiers et le titre de propriété d’une petite maison dans le Yellowstone dans un sac chargé de fringues qu’elle n’aurait jamais regardés auparavant. À 11h42, elle se glisse dans le coffre de la Volkswagen de ses parents, et par miracle, lorsque Marlowe les voit prendre la route de NYC, il cesse de les suivre. Le lendemain, Tatiana, non… Madeline Bell, prend un aller simple pour Laurel.