COMME DES GARÇONS. (prissy)

Prissy aimait son ciel de la même couleur que le goudron - riche d'anthracite et lourd d'orages. Elle aimait quand la terre vibrait, que les bottes sautaient en cadence, et que son coeur s'accordait aux violences de la basse.
Préférait les brouillons à l'art - les erreurs à la perfection.

- "you little bitch!"
alors Prissy supportait mieux les coups que les regards pâteux. Ceux guimauves qui collaient aux joues et aux doigts, emplis d'empathie et de pathos, que sa bouche n'arrivait plus à accumuler.
- "you did stole my wallet, didn't you?!"
son gosier recracha l'excédant du choc. Carmin contre le goudron, presque noir sous la lumière bleue des néons. Sa pommette envoyait des signaux que son cerveau ne reconnaissait plus - tantôt des sos pointillés de charges électriques, tantôt des fous rires atroces qui s'étouffaient dans l'accumulation de sang dans la bouche. Les crachats ne faisaient plus rien, les nerfs du nez et de l'oeil atrophiés par la peine, la gamine se contentait de prendre dans les dents - comme un garçon. Tout comme un bonhomme alors que ses ongles étaient peints de rouge et qu'elle portait encore de la dentelle enfantine et des noeuds sous ses carapaces en cuir.
Cinquième coup porté.
Le corps s'écrasa avant l'esprit.
Sixième coup, dans le ventre, par une botte qu'elle avait jugé comme has-been quelques heures plus tôt.
- "little whore aren't you? playing with guys and stealing their money. fucking gold-digger."
ça n'avait pas beaucoup de sens dans sa caboche. Car si elle avait essayé de voler l'or d'un misérable, elle n'aurait jamais tellement d'or elle-même. Ca n'avait pas de réelle importance parce que son sourire demeurait - contradictoire et mélodramatique, la présence d'un ourson en peluche au milieu d'une décharge.

Une lumière dorée vint l'éblouir.
- "something wrong, fella?"
la voix d'un homme, suivi de moteurs. Multiples rugissements de moteurs, comme la seule chose qu'elle pouvait encore entendre lorsque le reste se couvrait de "bip" semi-métalliques, semi-organiques.
- "why don't you mind your business?"
- "hm. see, that looks like my business."

ce n'est que lorsque le bruissement d'un os contre des phalanges rencontra son seul tympan actif, que ses genoux se plièrent, supportant la totalité de son poids. Petit à petit, se relevant, vertèbre par vertèbre, son équilibre totalement délavé par des vagues torrentielles de douleur.

- "what are you? a new sherif in town?" demanda-t-elle, sa main craquant le zip de sa veste en cuir. Elle y trouva son paquet de clopes, le goût familier de la nicotine remplaçant celui de fer.
- "what are you? like fourteen?"
les lueurs d'or se déversaient sur sa silhouette, projetant contre le mur la plus grande des ombres possibles.
- "sixteen." son briquet s'essouffla alors que la cigarette pendait de ses lippes.
- "shouldn't be at a bar."
ses épaules se haussèrent. Pour dire vrai, elle ne devait être nulle part ailleurs. Son seul oeil mobile dégringola jusqu'à ses pieds, là où pourrissait l'imbécile.
- "my name's prissy. and i don't have anywhere else to go."
une plaisanterie qui sonnait un peu trop juste. Pas si loin du mensonge sans pour autant être une vérité. Une maison qui n'était tout juste que quatre murs et une moquette tâchée de jus. Pas grand-chose pour allumer un feu et réchauffer le bout de ses doigts gelés. Des têtes blondes et celle peroxydée de maman, qui s'entrechoquaient au moindre mot - comme les bouteilles de papa, les colères invisibles cognant contre son poitrail.
Il alluma sa clope.
- "nice to meet you, prissy. can i give you a lift?"
- "to where?"
- "you tell me. anywhere."
Ses poumons inspirèrent profondément - la fumée arrangeant déjà ses entrailles pour faire une place à son cancer. A la misère qui s'effondrera sur son crâne quand elle aura quarante ans (si elle survivra jusque-là).
- "your place, sherif. i only take cash."
une blague salace qui le fit ricaner, secouant seulement sa tête en guise de réponse. Mais il lui offrit un casque, qu'elle n'ôta plus jamais, quelque-chose pour protéger sa tête finalement.

La rouquine qui s'évada des couloirs du lycée. De la chambre partagée à la maison. De la cuisine et des regards étranges de maman quand elle croquait dans plus qu'une pomme pour le déjeuner (all this? what are you, a whale?). De leurs étoiles qui ne scintillaient plus.

Elle prit la route, et ne la quitta plus jamais.


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- "i don't want to put you in juvie, miss van fleet."
- "then don't."
les ongles jouaient avec le bord de la table, les jambes allongées de toute leur longueur. Ses pieds pesaient lourds de par les bottes plateformes (newest collection, bet that drummer will see me now) qu'ils occupaient.
- "it's the third time this month."
le dumb good cop avait des yeux verts globuleux. Et donnait l'impression de vouloir verser trois larmes et quatre baves à chaque fois qu'il ouvrait sa bouche.
Elle mordit sa langue, révélant son piercing fraichement réalisé. Le sourire était cannibal - mordillant les nerfs des interlocuteurs, les iris remplies d'incendies.
- "fourth. don't tell me you have forgotten me so easily?"
c'est par miracle qu'elle ne l'avait pas déjà rencontré cette "juvie". Perks of being a girl, she guessed, balançant sa tête de côté.
- "it's your last chance. we've got a psychologist here today, she might help you."
la voix du bad cop résonnait dans la pièce mais le regard de la demoiselle ne décrochait pas du dumb one, avec ses cheveux gras et son air nerveux.
- "yeah?" elle insistait, le rictus toujours plus grand, "i thought we had our little thing here. our little threesome."
- "okay that's it."
on décrocha ses menottes et la plaça en garde-à-vue, derrière des barreaux pour une nuit. Pour quelques heures en réalité, car son sherif vint payer sa caution quand ses propres parents ne décrochaient plus au téléphone.

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- "two things now, mamacita." les voiles gris de sa cigarettes s'élevèrent, embrassant les traits de son visage. "no more fights."
elle roula des yeux. Ca n'était pas comme si elle cherchait les coups...son corps les emprisonnaient dans ses côtes et ses pommettes, dans ses yeux et ses bras. Comme un jouet pour chiens, on la mâchait, la recrachait, la trainait, l'enterrait et pour tout son, émettait-elle des rires fiévreux. "and you listen to me. as long as you're working for me, i'm the only person you answer to."
il n'avait même pas eu besoin de le préciser. Partout où il allait, Prissy suivait - telle une ombre, telle une chienne qu'on avait nourri quand le monde désertait. Il portait les rayons du soleil, qui ne faisait qu'illuminer ses propres traits - the sun to her moon. On lui offrait un toit où se réfugier, de l'argent à flamber, de la nourriture à épuiser, un job qui ne demandait aucun cv ou expérience. Un brin d'ingéniosité, Prissy apprenait rapidement - street smart, quand ses devoirs de littérature n'avaient été que de grands désastres.
Puis, il lui offrit une monture - un bolide noir qui rugissait lorsque la nuit se pointait, balançant des éclairs et des astres sur les grandes autoroutes.

Il lui offrit des mots qu'ils ne savaient parler qu'à deux.

Un pouvoir, qu'elle prit avec l'avidité de sa jeunesse.
La loyauté d'un animal blessé.
Et toujours, l'éternel vrombissement du moteur dans le creux de ses côtes, à la place d'un myocarde.